Happé par le silence que m’imposait une de mes compositions, je
tentais de localiser le rêve qui s'y trouvait. J'avais des
sensations intenses dans le ventre, dans les doigts, au bout du nez,
aux coins des yeux, sur les dents et sur les lèvres mais il m'était
impossible de tirer à l'extérieur de mon corps la moindre odeur, la
moindre couleur, le moindre goût ou le moindre son que ce rêve
diffusait depuis mon âme. Allongé sur mon lit par une nuit des plus
solitaires, brûlant d'envie de lui dire de se montrer, je n'osais
quand même pas ouvrir la bouche de peur de paraître idiot.
Happé par le silence que m'imposait avec plaisir une main sage
jouant inlassablement la même mesure et une autre volage piquant des
couleurs çà et là sur le clavier de l'instrument magnifique qu'est
le piano, je tentais de localiser le moi qui rêvait aussi joliment.
J'aimais cette personne calme et rêveuse, triste et satisfaite. Les
larmes coulant sur ses joues, le rictus miniature de son sourire, ses
yeux ne se laissant pas deviner ouverts ou fermés, la tranquillité
de son visage, m'émouvaient profondément. Un moment je me demandais
s'il dormait et rêvait lui aussi. Je me demandais d'où lui était
venue cette mélodie apaisant.
- Te sépares-tu souvent de toi même gentil nomade ?
Il avait parlé sans que je ne le vis ouvrir la bouche. J'aimais
moins sa voix que son regard qui ne me regardait pas.
- Je recherche l'amour qui rend ton visage si beau et si calme,
le lieu de ta naissance.
J’appréciais encore moins ma voix que la sienne mais comme il
me sourit je fus apaisé. Il me fixa longuement et tourna la tête.
C'est alors que je remarquai un lac derrière lui. Comme un miroir
vibrant, son eau rendait les étoiles filantes où l'on pouvait faire
tous les vœux du monde. C'était le lac du début du bonheur.
En m'approchant du bord j’eus une impression de déjà vu et je
ressentis son pouvoir. C’était le rêve qui emplissait mon corps.
- Quelle magie renferme cette eau musicien ?
- La magie d'un cycle de vie : insouciance, tristesse,
désolation, paix puis amour.
- Conte-moi son histoire je t'en prie, je veux savoir.
- Un chasseur en s'embrassant s'y est noyé et je suis né. Le
reste tu le devineras simplement petit nomade qui voyage à la
recherche de lui même.
Je me tus alors en comprenant le sens de ses mots. Où peuvent se
cacher ceux que la vie croque à pleine dent ailleurs que derrière
les crocs d'une certaine mort ? Tout ce que j'avais à faire
pour rester heureux et garder son visage apaisé était de continuer
à m'aimer. N'était-ce pas le début du bonheur ?
Quelle que soit la musique, ne devions-nous pas d'abord nous aimer
afin que prospère la maladie du bonheur ?
Content de m'être à nouveau compris, je me recueillis pour la
énième fois devant l'autel d'une ancienne vie, l’hôpital où
s’était soigné un voyageur à grande dose de narcissisme. J’essuyai
les larmes du musicien, souvenirs d'un petit chasseur et je me
réveillai.
Merci Nomad pour ce très beau et émouvant texte...
RépondreSupprimerJe sors de cette lecture l'âme heureuse et paisible.
Nat